Quelle est la définition pour la neutralité carbone et sur quel périmètre est-elle calculée dans le cadre de cet exercice ?
*** La cible de neutralité climatique
La cible de neutralité carbone se traduit par un équilibre entre les gaz à effet de serre émis chaque année et la quantité de CO2 absorbée par les « puits de carbone » sur un territoire national. Ces puits peuvent être naturels (forêts et sols) ou technologiques (capture et séquestration du carbone sur des sites industriels ou diffuse en puisant le carbone dans l’air). Actuellement les émissions totales en France sont de l’ordre de 436 MtCO2/an (2019). Les puits français (exclusivement naturels, sols et forêts jusqu’à 2020) sont d’environ 30 MtCO2/an. L’atteinte de la cible implique donc de réduire les émissions annuelles de 406 MtCO2/an tout en maintenant le niveau de puits de carbone actuel ou bien d’être en mesure d’augmenter la capacité de ces puits pour disposer d’un budget d’émissions résiduelles plus important.
La Loi Energie-Climat [1] a inscrit l’objectif de diviser au moins par six les émissions brutes de gaz à effet de serre à l’horizon 2050 par rapport à 1990, ce qui suppose également d’être en mesure de pratiquement doubler, dans le même temps, la capacité des puits. Des implications pour la programmation énergétique des 10 prochaines années qui a été définie en 2020 dans la PPE [2]. Cette programmation a été construite en cohérence avec les orientations à plus long terme de la SNBC, à savoir l’enjeu de décarboner totalement le secteur de l’énergie d’ici à 2050, en substituant aux énergies fossiles des énergies n’émettant pas de gaz à effet de serre, et de développer les puits de carbone pour compenser les émissions inévitables. Il existe néanmoins d’autres émissions de gaz à effet de serre non liées à la production d’énergie qu’il convient également de compenser. La SNBC 2 [3] évalue les besoins énergétiques de la moitié des consommations du transport international (trajets d’avions ou de bateau vers l’étranger), mais pas les émissions associées.
L’atteinte de la cible de neutralité carbone est donc très ambitieuse mais offre aussi des marges de manœuvre pour définir des stratégies et des transformations différentes du mode de développement français. Chacun des quatre scénarios ADEME explore des transformations différentes qui ont un effet sur la nature et le niveau des réductions d’émissions, des émissions résiduelles et de l’évolution des puits de carbone. Ils explorent donc des alternatives stratégiques sur la nature et le contenu de la transition écologique en vue d’atteindre un même niveau de contribution à l’évolution du climat.
C’est donc la définition théorique d’émissions nettes nulles ou négatives (Objectif « Net Zero ») qui est retenu comme cible pour les quatre scénarios NC, plutôt que l’orientation politique envisagée aujourd’hui (une division par six des émissions). Par ailleurs, les scénarios respectent une cible de neutralité climatique qui concerne l’ensemble des principaux gaz à effet de serre et pas uniquement le CO2 (notamment le méthane, le protoxyde d’azote et les gaz fluorés). La contribution au réchauffement de ces différents gaz est convertie en tonne équivalent CO2 selon les conventions en vigueur[1]. Le bilan des émissions nettes est donc exprimé en teqCO2 (émissions positives moins les émissions négatives des puits pour tous les gaz). La mention à la « neutralité carbone » doit donc être comprise en ce sens, comme extension de langage.
[1] Loi énergie-Climat (2019). LOI n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat. Légifrance. https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000039355955/
[2] PPE (2020). Décret n° 2020-456 du 21 avril 2020 relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie. Légifrance. https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000041814432/
[3] SNBC (2020). Décret n° 2020-457 du 21 avril 2020 relatif aux budgets carbone nationaux et à la stratégie nationale bas-carbone (SNBC 2). Légifrance. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000041814459/
*** Périmètre territorial, comptabilisation des émissions
La neutralité carbone est calculée sur le périmètre France métropolitaine. Le scénario de la SNBC couvre le périmètre des inventaires du protocole de Kyoto (métropole + DROM). La PPE concerne uniquement la métropole, puisque les zones non interconnectées au territoire métropolitain disposent de loi de programmation énergétique spécifiques. Cela implique des conventions pas toujours simples où les consommations des transports considèrent les TOM, mais où les systèmes électriques des TOM sont exclus du travail. Lorsque les comparaisons sont présentées avec le scénario de la SNBC, sauf mention particulière, c’est le périmètre métropolitain qui a été retenu.
Les soutes internationales (consommations des navires et avions assurant des liaisons internationales) sont exprimées mais aujourd’hui non prises en compte dans le calcul de la neutralité carbone, cela pourrait changer dans les futurs SNBC notamment.
Un calcul d'empreinte carbone est-il mené ?
Nous donnerons dans une publication future une estimation des émissions de la consommation des Français (son empreinte écologique), qui mesure l’impact de la société française au-delà des seules émissions territoriales. En effet, l’empreinte inclut les émissions issues de territoires étrangers mais qui servent à la production des produits importés en France et soustrait les émissions territoriales des exportations. Cette évaluation portera sur l'empreinte matière, gaz à effet de serre, ressources et biens de consommation.
Quels sont les puits de GES mobilisés dans cet exercice ?
Dans les scénarios transition(s) 2050 de l'ADEME, sont considérés deux types de puits :
* Les puits dits « naturels » intégrant l’impact des changements affectation des sols, des pratiques agricoles et de la gestion forestière sur les stocks de carbone dans les sols et la biomasse (végétaux, produits bois, …).
* Les puits dits « technologiques » liés aux technologies de captage et de stockage géologique de carbone (BECCS, DACCS).
Les technologies de CCS (Carbon Capture & Storage) ont été considérées comme une technique de réduction des émissions industrielles plutôt que comme un puits à proprement parler.
En revanche sont considérés comme puits technologiques :
- le recours à du CCS sur des unités fonctionnant à la biomasse (bioraffinerie ou cogénération bois), BECCS (biomass energy CCS)
- le recours nécessaire à du CCS sur air ambiant (DACCS – direct air CCS)
Aucun levier anthropique d’accroissement du puits dans les milieux marins et littoraux n’a pu être pris en compte en l’absence de références nationales.
Les matériaux à base de minéraux pouvant séquestrer le CO2 (hors produits bois), les produits biosourcés et les amendements (biochars, silicates) n’ont pas été inclus en raison du manque de données et d’études permettant d’évaluer leur potentiel au niveau français.
Selon les scénarios, les évolutions des stocks de carbone dans les différents réservoirs et les niveaux de puits, dépendent largement des choix de l’usage des terres, de l’intensité des prélèvements de biomasse et des usages de ces biomasses : maintien dans les milieux et retour au sol, alimentation humaine et animale, matériaux, énergie, captage et stockage technologique du CO2.
L’importance relative des différents puits, en particulier « naturels » et BECCS, dans les scénarios dépend donc étroitement des hypothèses émises sur les besoins de biomasses alimentaires et non-alimentaires.
L'impact du changement climatique est-il pris en compte dans l'évaluation des puits ?
Dans cet exercice, nous avons tenu compte de l’impact du changement climatique sur les écosystèmes forestiers (et donc sur le BECCS) en nous appuyant sur les scénarios réalisés par l'INRA et l'IGN pour des évolutions climatiques RCP 8.5. L’effet du scénario climatique RCP 8.5 peut se résumer par un ralentissement généralisé de la croissance et une forte accentuation de la mortalité, limitant ainsi le puits de carbone à l’horizon 2050 sans l’annuler. Les modélisations ne tiennent pas compte d’une augmentation de l’occurrence et/ou de l’intensité d’aléas biotiques (insectes et pathogènes) et abiotiques (sécheresse, gel, tempête, feu), qui pourraient également limiter l’accumulation de carbone dans les écosystèmes forestiers.
Ces 4 scénarios sont-ils réalistes ?
Une modélisation est nécessairement théorique : tout modèle est par définition une simplification de la réalité. Ceux utilisés dans cet exercice présentent des degrés de finesse variés, sans qu’il soit possible de quantifier les marges d’incertitude associées aux résultats des modélisations. Les résultats présentés ici doivent donc être considérés comme des ordres de grandeur ; l’ADEME propose dans cet exercice plusieurs scénarios "types", qui présentent de manière volontairement contrastée des options économiques, techniques et de société pour atteindre la neutralité carbone, sans épuiser pour autant la diversité des futurs possibles qui pourront être décidés.
Cependant, chacune des quatre voies présentées par l'ADEME permettant d’atteindre la neutralité carbone de la France en 2050 est dotée de sa propre cohérence interne, par souci de réalisme.
La crise COVID-19 est-elle prise en compte ?
Ce travail de scénarisation est publié dans une période très particulière, marquée par la crise de la COVID-19 qui a marqué une rupture ponctuelle en faisant de 2020 une année record de baisse; cependant, le rebond des émissions est déjà constaté.
Cette période affecte les imaginaires, comme les certitudes sur la prolongation des grandes tendances du passé, les possibilités de rupture, les possibilités d’action et l’évolution des valeurs collectives. On discute pour savoir si le « monde d’après » ressemblera au « monde d’hier ». Cette possibilité de rupture n’est pas prise en compte dans la construction des scénarios de neutralité carbone. En effet, elle ne change pas la vision des transformations physiques de long terme qui seront nécessaires pour réduire les émissions et absorber les gaz à effets de serre. On gardera néanmoins cette réflexion en toile de fond pour se demander si les évolutions de long terme décrites se trouvent freinées ou favorisées par ce contexte de perturbation (par exemple, l’augmentation du télétravail qui affectera les déplacements et les émissions des transports), si ce contexte change l’appréciation d’une stratégie par rapport à une autre (par exemple, parce qu’elle accélère certaines réévaluations et prises de conscience sur des changements qui sont davantage perçus comme faisables et désirables après la pandémie). Néanmoins, cette réflexion accompagne bien plus la lecture que la construction des scénarios.
Le scénario tendanciel prend-il en compte les mesures de France Relance ?
Le scénario tenanciel a été construit avant la mise en œuvre de France Relance. Il serait possible d’évaluer dans un second temps à quelle hauteur ce plan contribue à nous rapprocher des trajectoires des scénarios de neutralité carbone.
Dans quelle mesure les scénarios pour la France sont-ils dépendants des stratégies adoptées par les pays voisins ?
C'est en effet une question importante (le contexte international, notamment européen). Nous l'abordons au niveau des hypothèses sectorielles en décrivant les hypothèses d'évolution des échanges extérieurs (industrie, agriculture, etc.). Le modèle multisectoriel macroéconomique ThreeME décrit les échanges extérieurs des principales branches de l'économie française. Dans les chapitres sectoriels, est également précisé si des évolutions notamment politiques à l'échelle de l'Europe et internationale sont des conditions de réussite. Dans ce cas là, il s'agira d'éléments pour la stratégie de "politique extérieure" de la France qu'il faudra poursuivre en même temps que la stratégie nationale conduite.
Pourquoi un unique taux de croissance potentielle de long terme est-il considéré pour tous les scénarios ?
L’évolution du contexte économique est décrit précisément dans les analyses sectorielles et macroéconomiques. Ces analyses identifient des conditions économiques compatibles avec les transformations décrites dans chacun des scénarios. Elles examinent également des conséquences économiques de ces changements (besoins d’investissements, effets sur l’activité économique et l’emploi, les coûts de production et les revenus, les politiques économiques, etc.).
Afin de permettre une comparaison des chocs représentés par les scénarios de neutralité carbone sur une même référence, des hypothèses communes sont retenues pour la croissance potentielle de la productivité (*) et de l’activité économique (activités matérielles et immatérielles), ainsi que des hypothèses sur la tendance d’évolution des prix des énergies fossiles importées, déterminante pour l’incitation à réduire l’usage de ces énergies. Ces évolutions sont très incertaines et débattues. Pour faciliter les comparaisons avec les scénarios officiels, nous avons retenu les recommandations aux Etats de la Commission européenne pour les prix des énergies fossiles et les hypothèses de croissance potentielle de long terme du scénario AMS de la SNBC. Cette hypothèse de croissance de la productivité est une hypothèse haute étant donné la tendance de ralentissement constatée depuis les années 1980 et les travaux macroéconomiques qui ont souligné la possibilité d’une « stagnation séculaire » dès la fin des années 1990. Mais elle a le mérite de nous faire considérer des situations où le niveau des émissions peut être majoré par la croissance de l’activité économique. L’analyse technique et macroéconomique permettra ainsi de révéler l’évolution du contenu matériel des activités économiques futures qui est nécessaire pour atteindre les objectifs tout en envisageant un développement économique. Ces analyses nourriront la discussion sur la possibilité de découpler l’activité économique future de la pression sur les ressources, le climat et les écosystèmes et favorisera une réflexion sur la nature précise de la réorientation des activités économiques.
(*) La croissance potentielle se distingue de la croissance réalisée. Le potentiel de croissance à long terme s’estime à partir d’une hypothèse d’évolution de la population active et d’une hypothèse d’évolution de la productivité moyenne d’un travailleur. La croissance réalisée se distingue de ce potentiel en raison de nombreuse sources d’inefficacité : chômage, déficit de capital productif, d’infrastructures, inefficacités dans l’organisation collective, la répartition des richesses, la disponibilité de matières premières, etc. L’hypothèse de croissance potentielle n’est donc pas distinguée entre les scénarios, puisqu’aujourd’hui il n’existe pas d’étude robuste des effets comparés de stratégie bas carbone sur la croissance potentielle. Toutefois, les analyses macroéconomiques menées par l’ADEME permettent d’estimer l’effet des scénarios de transition écologique sur la croissance réalisée et l’emploi (Cf. analyse macroéconomique à venir).
Les conséquences sur l’emploi sont-elles analysées ?
Une analyse des effets sur l'emploi au niveau macroéconomique avec le modèle ThreeME sera bientôt publiée (prenant en compte les effets d’ajustement des salaires en fonction du chômage, de relation prix-salaire, du niveau d’activité et de demande, etc.).
A un niveau plus fin, des informations seront aussi disponibles dans les études de prospetive Filières (Protéines, Construction neuve, Logistique, Gaz et carburants liquides). Dans les prospectives de filières, l’emploi est traité dans l’état des lieux puis dans les trajectoires 2020-2030-2050 vers la neutralité carbone. Nous n’utilisons pas de modèle mais des données statistiques disponibles et des dires d’experts (ADEME et parties prenantes).
Enfin, certains zooms territoriaux abordent une thématique particulière à l’échelle régionale et donnent lieu à une évaluation des emplois associés aux stratégies (e.g. en Hauts de France).
L'évolution démographique varie-t-elle selon les scénarios ? Quelles sont les hypothèses prises et abordent-elles la question de flux migratoire ?
Les hypothèses prises sur démographie suivent le scénario bas des projections INSEE, qui correspondant le mieux à la trajectoire actuelle et au ralentissement constaté de la fécondité. L’évolution de la démographie tient compte également de l’évolution de la pyramide des âges avec la poursuite du vieillissement de la population française. Elle inclut également une hypothèse de solde migratoire tenant compte des évolutions observées sur le long terme et stabilisé au niveau observé sur la période 2000-2010. La projection ne suppose pas de ruptures non observées et plus incertaines qui pourraient advenir sous des hypothèses particulières géopolitiques et climatiques.
L’étude présentée sur les modes de vie cherche-t-elle à être représentative statistiquement ?
Non, l’étude présentée sur les modes de vie ne cherche pas la représentativité statistique. Cependant les 31 entretiens individuels réalisés présentent une grande diversité de caractéristiques socio-démographiques.
L’étude a permis de dégager des résultats propres à chaque scénario, permettant d’en explorer les contraintes autant que les bénéfices perçus avec le regard d’une diversité de citoyens. Elle nous renseigne également de manière transversale aux quatre scénarios. En effet, elle a permis de dégager des conditions et des points de tensions divers, qui sont autant de points de vigilance et d’attention à investir pour construire la transition à l’horizon 2050. Ces enseignements intéressent au premier plan l’action publique, dans la mesure où ils dessinent diverses conditions de faisabilité et de désirabilité des quatre scénarios. Ils intéressent également les cibles de l’ADEME que sont les citoyens, décideurs, organisations publiques comme privées, dans la mesure où celles-ci participent toutes de l’effort de projection et de décision afin d’engager la transition écologique.
Les scénarios Transition(s) 2050 explorent-ils les implications sur la biodiversité et les ressources en eau ?
Aucun chiffrage précis des impacts sur la biodiversité et les écosystèmes n’a pu être réalisé, en particulier par manque de géolocalisation des scénarios. Des discussions sont cependant en cours avec l’Office Français pour la Biodiversité à date de rédaction de ce rapport. De même, la question de l’usage de l’eau et des impacts sur la ressource et les milieux aquatiques n’a pas pu être étudiée de manière approfondie (à part les besoins en eau d'irrigation pour l'agriculture). Néanmoins, des réflexions ont été initiées avec des Agences de l’Eau pour approfondir cet autre sujet stratégique.
Qu’incluent les catégories de demande finale énergétique par vecteur dans nos infographies ?
Le mix de consommation finale d’énergie a fait l’objet d’une analyse approfondie dans cette étude prospective.
Afin d’en simplifier la représentation, notamment dans les infographies par scénarios, nous avons dû procéder à des regroupements par grandes catégories :
- Electricité
- Chaleur : le terme Chaleur ici désigne la somme de réseaux de chaleur et des énergies renouvelables thermiques hors réseaux, elles-mêmes comprenant biomasse solide / biocarburants / Biogaz en usage direct / déchets / solaire thermique / Pompes à Chaleur.
- Gaz : gaz fossile et biogaz de réseau
- Combustibles liquides : combustibles liquides fossiles
- H2 : hydrogène
- Autres : principalement charbon